“Puisque c’est comme ça je vais faire un opéra toute seule” de Claire Diterzi : vivre la puissance émancipatrice de l’acte de création, quel que soit son genre
Puisque c’est comme ça je vais faire un opéra toute seule pourrait se caractériser rapidement comme du théâtre musical. Écrit pour le jeune public mais délectable pour les adultes, mobilisant fortement le chant opératique mais ne refusant pas les riffs de guitare et le pur théâtre, c’est une œuvre subtile en même temps qu’abordable, formidablement habitée par la puissance émancipatrice de la création, portée de surcroît par une interprète tout à fait talentueuse.
Être jeune, être une femme, et bouillonner d’envies créatives ; se heurter à l’incompréhension des adultes, à la misogynie du monde. Aux parents qui voudraient la retenir – de ses père et mère désincarnés, réduits à des voix déformées retentissant dans les hauts-parleurs, Anya ne semble retenir qu’une chose : “Ils me disent : les filles qui composent, ça n’existe pas !” – Anya oppose une fin de non-recevoir : s’il le faut, elle fera sécession, elle entrera en dissidence, elle renoncera aux interactions sociales pour écrire son premier opéra. En sa compagnie, nous pénétrons dans ce huis-clos musical où les mélodies, les personnages et les péripéties sont le fruit de sa puissance imaginante. A la suite de Svetlana la Tempête, son héroïne dont on devine aisément qu’elle est une double d’elle-même, aventureuse, puissante et autonome, nous traversons les contrées fantastiques qui forment le décor de cette épopée de chambre. A mesure qu’elle arrange la musique, alimentée par les trilles des oiseaux qu’elle admire et son héritage classique russe, son opéra prend forme sur scène.
“Je vais vers mon risque et je serre mon bonheur.”
Ce qui rend Puisque c’est comme ça je vais faire un opéra toute seule absolument délicieux, c’est l’intense créativité qui s’y concentre. Côté fiction, il y a l’inventivité d’Anya, qu’on peut admirer comme un modèle, celui d’une toute jeune femme qui réalise qu’il suffit d’avoir une chambre à soi pour y faire naître son art. Côté production, il y a cet entremêlement fertile de l’opérette et du théâtre, et une scénographie légère mais maligne : un décor en plusieurs plans tel un kamishibaï, une cabane de sorcière à l’envers, un fauteuil empire jouxtant une paire de rangers, bref, un collage étudié et savoureux qui fait un bel écrin à cette Anya pleine de caractère et de détermination. Anaïs de Faria est merveilleusement à l’aide dans ce rôle, avec juste ce qu’il faut de rage déterminée, mais surtout avec une grande joie d’être là, et une réelle maîtrise de ses langages artistiques, instruments, chant lyrique et art dramatique. Écrire pour le jeune public, ce n’est pas synonyme d’exigence au rabais ou de niaiserie, et cette fable tonique et intelligente en est la preuve indiscutable.
Mathieu Dochtermann